Sur les épaules de géants #11 : Jeanne d’Albret

Jeanne d’Albret (1528-1572)

Jeanne d’Albret a vécu de près les conflits religieux de la Réforme en France : elle est surtout célèbre pour être la mère de celui qui devient roi de France en 1589, Henri IV, mais demeure très peu connue pour elle-même, même parmi les chrétiens de tendance réformée dont elle est pourtant une illustre représentante et protectrice.

Elle est la fille de la sœur du roi François Ier, Marguerite d’Angoulême, femme de lettres ouverte aux idées luthériennes, et de Henri II. Ainsi, elle est rattachée à la cour de France par sa mère, et à la Navarre par son père qui en est roi ; la Navarre est à l’époque un tout petit royaume au Nord de l’Espagne, dont la capitale est Pampelune. Coincé entre l’Empire espagnol de Charles Quint et le royaume de France de François Ier (qui s’affrontent depuis longtemps), le royaume de Navarre a très peu de pouvoir. Mais dans ce royaume allié de la France, la couronne peut se transmettre par les femmes : ainsi, comme Jeanne d’Albret est fille unique, ses parents et son oncle (le roi de France Françoie Ier) s’intéressent-ils beaucoup à celui qui l’épousera, car cet homme deviendra un jour roi de Navarre. Autant donc choisir un allié !

Une jeune fille au fort caractère

Jeanne grandit en catholique à la cour de France, à Blois, où elle assiste aux grands événements dont sa mère Marguerite et son oncle François Ier sont les principaux acteurs. En 1541, le roi de France décide de la marier à un prince allemand, Guillaume, dont il espère un soutien dans la guerre prochaine contre l’Espagne : bien qu’elle n’ait que 12 ans, elle refuse vigoureusement cette union, déclarant qu’elle préfère encore entrer dans un couvent ou se jeter au fond d’un puits. « Je jure Dieu, j’en ferai décapiter des têtes ! », crie François Ier, furieux, en la quittant. En juin, il organise le mariage tout de même. Jeanne s’obstine dans son refus, et ne cache pas sa mauvaise volonté : dans la chambre nuptiale, elle défend Guillaume de la toucher, et cette situation dure bien longtemps encore après…

En 1543, le duc de Clèves essuie une défaite cuisante face à Charles Quint. Ayant déçu l’entente qu’il avait avec François Ier, Jeanne imagine que cette défaite de son mari est une réponse de Dieu à ses prières pour favoriser l’annulation du mariage, qui n’intervient officiellement qu’en octobre 1545, prononcée par le pape Paul III. Jeanne a 16 ans, elle est toujours vierge, et parfaitement libre.

En 1547, François Ier meurt ; l’année suivante, elle épouse le prince français Antoine de Bourbon. En 1553 leur naissent un deuxième fils, Henri, appelé à devenir roi de France. En 1555, le père de Jeanne meurt : Jeanne et Antoine deviennent donc reine et roi de Navarre.

Une grande promotrice du protestantisme

Malgré sa sensibilité réformée, Antoine reste attaché à la messe catholique. La rupture religieuse survient en 1560 pour Jeanne, qui, déjà sensible par sa mère aux « idées nouvelles », bientôt convaincue après une visite de Théodore de Bèze sur ces terres, adopte franchement la foi réformée. Son mari Antoine, lui, abjure définitivement le protestantisme en 1561, et reste catholique par fidélité politique au roi de France.

Malgré un début de mariage heureux, la situation du couple s’assombrit dans les années 1550 : Antoine est un homme volage, qui a en 1554 un enfant d’une autre femme. À partir de cette date, Jeanne refuse d’habiter sous le même toit que lui. Le couple vit donc séparé: Antoine à la cour de France, près du roi, et Jeanne dans son royaume en Navarre. En 1561, elle y autorise le protestantisme. Ses actions en faveur du protestantisme sont nombreuses : elle fait traduire en basque (langue vernaculaire en Navarre) le Nouveau testament et le psautier, elle fait venir des pasteurs que Jean Calvin lui envoie depuis Genève, etc. Les catholiques lui reprochent son fanatisme : elle renvoie les prêtres romains de son royaume en 1570.

En 1568, elle monte à La Rochelle où elle galvanise les troupes protestantes dans la troisième Guerre de religion, pendant 3 ans. Elle enfile donc le costume de chef de guerre ! Elle négocie elle-même avec la reine-mère de France, la puissante Catherine de Médicis, catholique, le traité de paix de Saint-Germain (1570).

Elle meurt en juin 1572, deux mois avant le mariage de son fils protestant Henri, futur Henri IV, avec la fille catholique de Catherine de Médicis, Marguerite de Valois.

Lire Jeanne d’Albret

Jeanne d’Albret est également femme de lettres ; comme sa mère, mais beaucoup plus énergique ! Elle publie des Mémoires en 1568, qu’elle adresse au roi de France et à Catherine de Médicis, et dans lesquelles elle fait de sa vie un témoignage qui doit accuser les souverains français de réprimer les protestants du royaume. Ce texte autobiographique et polémique à la fois n’a pas de réédition moderne, on peut donc le lire en ligne ici.

Une ample mais abordable biographie, parue en 2002, est disponible aux éditions Atlantica.

Pour aller plus loin

Jeanne est une femme de caractère qui, une fois qu’elle a décidé ou pris un parti, s’attache à demeurer ferme dans ses choix. Sans doute en a-t-elle fait certains croyants suivre Dieu, sans doute aussi ses choix n’étaient-ils pas exempts de calcul politique. Peu nous importe ici : demandons-nous plutôt si dans les décisions qui comptent, nous savons être aussi entiers. Pensez donc, une femme au XVIe siècle, qui tient tête au roi, qui parvient à contenir les légitimes désirs sexuels de son mari pendant plusieurs années pour rester pure, qui part sur le champ de bataille croyant défendre sa foi ! Dans le sermon sur la montagne, Jésus nous invite à cela : « que votre oui soit vraiment oui, que votre non soit vraiment non » (Mt 5:37). Dans l’Apocalypse, on voit que Dieu déclare à l’église de Laodicée : « Je connais tes œuvres. Je sais que tu n’es ni froid ni bouillant. Puisses-tu être froid ou bouillant! Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n’es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche. » (3:15-16). Demandons à Dieu de nous aider à faire des choix éclairés par son Esprit, afin de pouvoir les assumer et les défendre avec autant de courage et d’énergie que Jeanne d’Albret.

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Quentin

Quentin, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin d'Aix-En-Provence

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