Sur les épaules de géants #9 : Théodore de Bèze

Théodore de Bèze (1519-1605)

Né en 1519 en Bourgogne, d’une famille de petite noblesse, Bèze est un théologien assez peu connu aujourd’hui, mais d’une très grande importance dans l’histoire de la Réforme française ; il est le disciple d’une figure autrement plus célèbre et qui l’a éclipsé, Jean Calvin.

Sa jeunesse humaniste

À 9 ans, en 1528, son oncle l’envoie à Orléans pour son éducation, auprès d’un professeur de grec sympathisant de la Réforme, chez qui il rencontre pour la première fois un autre étudiant, Jean Calvin lui-même, qui a 20 ans. De Bèze non seulement apprend le grec, mais encore découvre les premiers Réformateurs, qui lui parlent des thèses défendues au même moment par Luther.

En 1539, il obtient deux postes confortables de juriste à Paris. Son grand plaisir, qui occupe tout son temps libre, c’est la poésie, et en particulier la poésie latine antique. La mode est en effet à l’imitation des auteurs classiques de l’antiquité latine et grecque : on appelle cela l’humanisme.

À cette époque, Bèze a une sensibilité réformée, mais sa conversion n’a pas encore eu lieu.

Il se fiance en 1544.

À sa conversion, une vie radicalement changée

En 1548, il publie un recueil de poèmes d’inspiration latine, les Poemata, sur des thèmes érotiques ou anticléricaux. Ces poèmes sont les témoignages de la vie mondaine et luxueuse qu’il mène à Paris.

Mais la même année, une grave maladie menace sa vie, et le pousse au désespoir. En grande détresse, il accepte le salut en Jésus-Christ, et se convertit pour de bon, avec foi. Dans une lettre à son ancien professeur de grec, il écrit : « L’image de la mort, gravement présentée devant mon âme assoupie et comme ensevelie, éveilla l’aspiration à une vraie vie (…) cette maladie fut le début de ma guérison ».

Il décide alors d’abandonner sa vie mondaine, et pousse loin la rupture : il se sépare de sa famille, de ses amis, renonce à ces emplois dans l’église catholique (par lesquels il se faisait un peu d’argent), renie ses Poemata. En 1548, il part pour Genève, car la ville est depuis une quinzaine d’année passée à la Réforme, sous la houlette de Jean Calvin. À Paris, en 1549, le Parlement condamne Bèze à être brûlé vif s’il revient en France : on lui confisque ses biens, car il s’est converti à « l’hérésie luthérienne ».

Arrivé à Genève, Calvin marie Bèze.

Il devient bientôt professeur de grec à Lausanne. Il y commente les auteurs grecs païens (Platon, Démosthène, Eschyle, etc.), mais aussi le Nouveau testament. C’est à Lausanne qu’il compose et fait jouer pour la première fois en 1550 la toute première tragédie en langue française, Abraham sacrifiant, d’après l’épisode fameux relaté en Genèse 22.

Le successeur de Calvin à la tête de la Réforme française

À la fin des années 1550, il rejoint Calvin à Genève. Calvin est comme le maître et Bèze le disciple : leur relation et leur confiance mutuelle sont telles que peu avant de mourir (en 1564), Calvin lui confie la direction de l’Académie de Genève (ancêtre de l’actuelle Université de Genève, que Calvin a fait créer en 1559).

Bèze devient donc pendant toute la fin du XVIe siècle le chef de file incontesté des Réformés français, depuis Genève. En France, les Guerres de religion secouent le pays de 1562 à 1598 : elles opposent les catholiques et les protestants, et culminent avec le massacre de la Saint-Barthémély en 1572. Bèze organise un accueil massif des réformés français qui fuient les massacres. C’est aussi pendant cette période que Bèze publie beaucoup d’ouvrages théologiques, pour défendre la foi réformée.

Il enseigne à l’Académie jusqu’en 1597, puis meurt en 1605, en ayant eu la douleur de voir Henri IV se convertir au catholicisme pour devenir roi de France.

Lire Théodore de Bèze

La production littéraire de Bèze est abondante, mais assez difficile à lire aujourd’hui si tu n’as jamais lu du français du XVIe siècle. C’est un français ancien, qui se comprend avec un peu d’habitude et quelques notes de bas de pages.

La pièce Abraham sacrifiant, qui met en scène Abraham sommé par Dieu de sacrifier son fils Isaac, est vraiment très belle et émouvante. Si tu as le courage d’affronter la langue, tu verras une représentation édifiante de cet épisode, où Sarah et le Diable ont un rôle important. C’est une occasion intéressante de voir comment, au XVIe siècle, un auteur peur utiliser le théâtre pour édifier le public. L’édition Classiques Garnier propose de nombreuses notes pour expliquer les expressions compliquées, et une introduction très pédagogique et claire pour comprendre l’intérêt de la pièce. Si tu es étudiant à l’Université, alors tu peux télécharger le PDF complet du livre gratuitement.

Sache aussi que Bèze est, avec le poète français Clément Marot (1496-1544), l’auteur de la traduction des psaumes en français utilisés pour les cultes réformés : le Psautier huguenot, comme on l’appelle depuis, n’a pas changé, et de nombreuses églises réformées chantent encore les psaumes sur les vers de Bèze (qui en a traduit 100) et Marot (qui en a traduit 50).

Pour aller plus loin

À sa conversion, la vie de Bèze a changé. Du jour au lendemain, il a quitté famille, amis et patrie pour partir là où il a cru que Dieu l’appelait. Il insiste souvent sur la déchirure humaine que ces séparations ont causée chez lui, mais qui lui ont semblé indispensables. D’ailleurs, si tu lis Abraham sacrifiant, tu découvriras que Bèze montre remarquablement comment Abraham, à qui précisément Dieu a aussi demandé de tout quitter (Gn 12:1), est déchiré humainement par l’injonction divine de sacrifier son fils unique. Toi-même, te sens-tu capable de tout abandonner à Dieu ? Serais-tu prêt à renoncer à tout pour Lui ? Il est intéressant de voir que les grands Réformateurs ont aussi souffert grandement dans leur chair quand il s’est agi de renoncer, de même qu’Abraham n’a probablement d’abordpas bondi de joie quand Dieu lui a dit de sacrifier son fils. Les grands héros de la foi dans la Bible, comme les Réformateurs, sont aussi des humains, avec leurs faiblesses et leurs douleurs. Ne te laisse ni écraser ni culpabiliser par une vénération aveugle des personnages que le monde, et parfois l’Église, sont parfois tentés de transformer en Supermans. Galérer, ça fait partie de la vie chrétienne, c’est souvent un chemin nécessaire pour grandir, et Dieu est compatissant : il veut nous aider à évacuer tout ce qui nous fait souffrir et nous retient de nous abandonner complètement à Lui.

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Quentin

Quentin, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin d'Aix-En-Provence

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