Sur les épaules de géants #6 : Jan Hus

Jean Hus (1372-1415)

Jean Hus est l’une des figures relativement peu connues que l’historiographie traditionnelle pose comme annonciatrices de la Réforme du XVIe siècle, comme Pierre Valdo ou John Wyclif.

Un réformateur dans une Europe politique et religieuse tourmentée

Il naît dans une famille de paysans de Bohême : à cette époque, c’est une région du Saint Empire Romain Germanique, qui correspond à l’actuelle République tchèque. Le Pape de Rome y a donc un très grand pouvoir, comme dans toute l’Europe. Dans cette région majoritairement rurale où les messes se disent en langue vernaculaire (=locale) dès le IXe siècle, l’obligation du latin issue de la réforme grégorienne (XIIe siècle) est mal vécue par une population peu instruite.

Jean Hus réussit ses études universitaires à Prague, y enseigne la théologie dès ses 28 ans et devient prêtre. Nourri aux travaux de John Wyclif (réformateur britannique du XIVe siècle), il est critique vis-à-vis de ce qu’il considère comme des abus de l’Église : enrichissement excessif sans aide proportionnelle aux pauvres, éloignement progressif des préceptes du Nouveau Testament, vente des indulgences, etc. Il désire transformer les habitudes pratiques et quotidiennes des croyants en les modelant sur la vie et l’enseignement de Jésus.

Son message connaît un grand retentissement en Bohême, porté par les mécontentements populaires suscités par la crise sans précédent que traverse la Papauté au début du XVe siècle. Deux papes s’affrontent, chacun estimant être le seul légitime : un à Rome, un au Vatican. Un concile, organisé à Pise en 1409, prétend régler le problème en défaisant ces deux papes et en instaurant un nouveau, légitime, à Pise. Mais les papes d’Avignon et du Vatican résistent à cet ordre, et l’Église se retrouve avec trois papes à sa tête jusqu’en 1415, date du Concile de Constance qui rétablit la situation. En outre, le roi de Bohême Vencelsas IV craint que son autorité soit affaiblie par ce prédicateur qui invite la population à ne plus obéir qu’au message biblique en priorité. La prédication de Hus, sur les 15 dernières années de sa vie, trouve donc dans les désordres politiques et religieux contemporains matière à se développer et à toucher les fidèles déboussolés.

Le martyre

Le Concile de Constance, convoqué au départ pour régler la question du schisme de l’Église entre plusieurs papes, s’attache aussi à régler la « question Jean Hus ». Hus est inquiété pour avoir propagé des thèses hérétiques proches de la pensée de Wyclif, dont les écrits sont justement condamnés officiellement par le pape en 1407. Pour se rendre à Constance, le roi lui accorde un sauf-conduit, c’est-à-dire qu’il lui donne un papier officiel lui promettant que sa liberté de conscience sera respectée et qu’aucune violence ne lui sera faite là-bas. Au terme d’un éprouvant voyage de 45 jours au cours duquel il rencontre encore davantage les populations rurales de l’Europe centrale, Hus arrive à Constance en novembre 1414.

Là, il est rapidement emprisonné. Commence alors pour lui un long calvaire de sept mois : les Pères du Concile (c’est ainsi qu’on nomme habituellement les ecclésiastiques qui composent le collège des savants décideurs catholiques lors des Conciles) jugent que le sauf-conduit ne peut pas protéger un hérétique. Hus propose aux Pères de régler leur problème de schisme en se réunissant autour de la Parole, mais ceux-ci l’enjoignent plutôt à abjurer. Face à son refus, ils décident de l’immoler sur le bûcher. Le 06 juillet 1415, avant son supplice, on raconte qu’il aurait prononcé la phrase suivante, élaborée à partir d’un jeu de mot sur son patronyme qui signifie « oie » : « Ils peuvent tuer l’oie (hus) mais, dans cent ans, apparaîtra un cygne qu’ils ne pourront brûler ». Beaucoup de chrétiens y voient une annonce prophétique du mouvement de réforme entamé en 1517 par Martin Luther. Un des amis les plus proches de Hus, le théologien Jérôme de Prague, lui aussi convoqué au Concile pour hérésie, accepte de renier son ami pour avoir la vie sauve : libéré et loin de Constance, il passe le reste de sa vie à défendre encore plus ardemment son ami supplicié, un peu comme Pierre qui, après avoir renié Jésus, est ensuite devenu l’un de ses plus ardents défenseurs.

Les chrétiens attachés à l’enseignement de Hus, les Moraves, forment depuis un groupe de fidèles à l’identité forte, qui marquent le christianisme d’Europe centrale. Ce sont eux qui participent à la conversion de John Wesley, dans un bateau sur l’Océan Atlantique, en 1737.

Lire Hus

Il n’existe pas d’édition française des textes de Jean Hus. On peut en savoir plus sur lui dans des biographies qui malheureusement ne sont presque toutes plus éditées, à l’exception de celle d’Aimé Richardt.

Pour aller plus loin

À bien des égards, la vie et l’œuvre de Jean Hus ressemblent à celles de Martin Luther. Un élément se détache cependant plus nettement de la biographie du Tchèque : l’idée que la propagation du message biblique est l’œuvre non pas d’une seule personnalité, mais de plusieurs maillons d’une même chaîne. Valdo inspire Wyclif, qui inspire Hus, qui annonce Luther, etc. Nous devons tirer leçon de ce fait, pour chasser tout orgueil ou tout esprit de compétition (qui pourtant n’empêchent pas l’évangélisation !), et reconnaître humblement que nous ne sommes que des relais temporaires d’un message qui nous dépasse. Ainsi le disait Paul aux chrétiens de Philippes, attendant son supplice dans sa prison romaine :

« Frères, je veux que vous le sachiez: ce qui m’est arrivé a contribué en réalité à la progression de la Bonne Nouvelle. C’est ainsi que tous, dans le palais du gouverneur ou ailleurs, savent que je suis en prison pour le service du Christ. En me voyant en prison, la plupart des frères ont gagné en confiance dans le Seigneur, de sorte que, de plus en plus, ils osent annoncer sans crainte la parole de Dieu. Il est vrai que certains d’entre eux annoncent le Christ par jalousie, avec des intentions polémiques à mon égard; mais d’autres l’annoncent avec de bonnes dispositions. Ceux-ci agissent par amour, car ils savent que ma mission ici est de défendre la Bonne Nouvelle. Les autres annoncent le Christ dans un esprit de rivalité, leurs motifs sont troubles; ils pensent augmenter ma détresse de prisonnier. Peu importe! Que leurs intentions soient inavouables ou sincères, le Christ est de toute façon annoncé, et je m’en réjouis. » (Philippiens 1:12-18)

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Quentin

Quentin, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin d'Aix-En-Provence

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