Sur les épaules de géants #4 : Polycarpe de Smyrne

Polycarpe de Smyrne (env. 75 – env. 160)

On sait peu de choses sur la vie de ce martyr chrétien des premiers siècles, qui appartient à la catégorie des Pères apostoliques, c’est-à-dire des premiers évêques chrétiens qui ont connu les apôtres de Jésus de leur vivant, et dont il nous reste des écrits. On considère généralement que quelqu’un qui a connu directement les disciples de Jésus, a pu échanger avec eux sur la vie et l’enseignement du Christ, etc. a un enseignement sans doute très fiable et solide. Voilà pourquoi les textes de ces Pères apostoliques sont à la fois si intéressants et si importants à lire !

Polycarpe naît entre 70 et 80 après Jésus-Christ, on ne sait pas précisément où. À sa naissance, les trois lettres de Jean, son évangile, l’évangile de Luc, les Actes des Apôtres, la deuxième lettre de Pierre, etc., qui figurent dans le Nouveau Testament, n’ont pas encore été écrits. Très jeune, il est conduit dans la région de Smyrne : aujourd’hui, elle correspond à la ville d’Izmir, sur la côte ouest de la Turquie, qui baigne la mer Égée.

Là, il est élevé par une chrétienne. Il manifeste très tôt une foi solide. Après que l’apôtre Jean, « celui que Jésus aimait » d’après l’évangile, est libéré de l’île de Patmos (où il a reçu les visions qu’il décrit dans l’Apocalypse), il part s’installer à Éphèse, tout près de Smyrne : Polycarpe devient son élève. Jean lui transmet ses enseignements.

Il devient évêque de Smyrne vers 115, et le reste pendant une cinquantaine d’années. C’est donc parce qu’il est très associé à cette cité qu’on l’appelle « Polycarpe de Smyrne », et non pas parce que « De Smyrne » serait son nom de famille : c’est la même chose quand on parle de Paul de Tarse (Paul est né à Tarse vers l’an 9).

La vie de Polycarpe ne nous est pas connue en détails. Les témoignages écrits d’autres Pères qui l’ont connu, en particulier ceux d’Ignace d’Antioche, nous indiquent qu’il a une foi inébranlable, qu’il est solide en amitié, aimé des gens de Smyrne. Il rédige de nombreuses lettres aux assemblées chrétiennes autour de la Méditerranée, pour les exhorter, les encourager, les soutenir, etc. Il semble que cette dimension pastorale soit plus importante chez lui que la dimension dogmatique et théologique.

Le martyre

Polycarpe est en réalité surtout connu pour le martyre qu’il a subi dans les années 160 (on ignore la date exacte). La région de Smyrne est alors une province de l’Empire romain : les proconsuls, sorte de préfets envoyés sur place par l’empereur pour faire régner le droit romain, ont toute latitude pour faire respecter l’ordre. L’Empire est alors, depuis au moins un siècle, assez hostile aux chrétiens, à qui on reproche de ne pas rendre le culte dû à l’empereur ; généralement, les persécutions sont assez rares, mais violentes, surtout dirigées contre les évêques et les prêtres. Bien souvent, c’est le peuple des régions concernées qui se plaint auprès des proconsuls romains pour exiger que des chrétiens soient exécutés en public, dans un amphithéâtre, au motif qu’ils troubleraient l’ordre. Tout le peuple se rassemble alors pour assister bruyamment à ce qui est considéré comme un spectacle.

Ce sont les membres de l’église de Smyrne qui ont écrit, peu après la mort de leur évêque, une lettre relatant le martyre, qu’ils ont envoyée à leurs églises amies dans la région. Le récit, comme tous les autres récits de martyre qui se multiplient aux premiers siècles, est probablement enjolivé par les auteurs, dans le but d’encourager les destinataires à considérer le courage exemplaire des victimes : chacun devrait avoir une assurance et une foi semblables à celle de Polycarpe, qui, vieillard fatigué, n’a montré aucun signe de résistance et s’est livré tranquillement à ses bourreaux.

Le texte détaille toutes les étapes de cette exécution. Après que le proconsul lui a offert plusieurs fois de le libérer s’il reniait Jésus devant la foule des spectateurs, Polycarpe soutient son regard et demande : « Il y a 86 ans que je le sers, et il ne m’a fait aucun mal ; comment pourrais-je blasphémer mon roi qui m’a sauvé ? ». L’évêque est alors conduit sur un empilement de morceaux de bois. Le feu est allumé, mais miraculeusement, les flammes l’entourent sans l’atteindre ; après un instant de fascination et de stupeur, des gendarmes viennent le poignarder, et jettent son corps aux flammes.

Lire Polycarpe

Un seul texte de Polycarpe nous est parvenu : une lettre envoyée aux chrétiens de l’église de Philippes, en Grèce, que Paul avait fondée en 51 (Actes 16:12-40). Il y encourage ses frères, en citant de nombreux passages du Nouveau Testament, et fait preuve d’une attention et d’une bienveillance chaleureuses. On peut la lire ici. Le récit du martyre peut être lu ici : c’est un texte proprement sensationnel, censé impressionner le lecteur et vivifier sa foi. On peut retrouver ces deux courts textes dans ce livre paru aux éditions Cerf, qui propose tous les textes des Pères apostoliques qui nous sont parvenus : ce sont des textes courts, peu nombreux, avec d’autres récits de martyre. C’est une lecture assez facile, souvent émouvante, toujours intéressante !

Réflexion 

Polycarpe n’a pas hésité à se livrer aux bourreaux : il était hors de question de renier Jésus. Cet exemple, ainsi que ceux des autres martyrs, nous poussent à nous demander nous-mêmes : dans une situation semblable, serions-nous capables d’un tel courage ? Après tout, la Bible nous prévient que les chrétiens ne seront épargnés ni par l’adversité ni par la persécution, et Paul regarde comme un bien de mourir au nom de Jésus. Il est normal que ce choix puisse paraître difficile, voire qu’on s’en sente absolument incapable. Aucune culpabilité à avoir : parlons-en tranquillement et sincèrement avec Dieu, toujours prêt à nous écouter si nous lui confions nos limites ou nos peurs. Souvenons-nous aussi que Dieu nous soutient fermement, et qu’il ne permettra pas que l’on soit tenté au-delà de nos forces ! (1 Corinthiens 10.13).

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Quentin

Quentin, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin d'Aix-En-Provence

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